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  • Entre joie et plaisir

    Septembre 2020

    La joie est totalement différente du plaisir. On ne peut pas la rechercher, encore moins la construire. Et pourtant nous l’avons tous rencontrée. Les deux chemins peuvent-ils se croiser ?

    Quête

    On ne trouve pas un moment heureux, il existe, il nous tombe dessus. On réalise seulement que l’on a été joyeux, que l’on a vécu le bonheur. On comprend, soudainement, que cette soirée entre amis est inoubliable. On prend conscience que ce paysage simple et délicat nous a touché au cœur. On ne choisit pas d’être joyeux, cela ne se construit pas. On ne décide pas du bonheur. Il est là. On ne le réalise que lorsque la pensée décide de s’en mêler. On comprend - après-coup - que l’on a été heureux.

    En un instant, la pensée s’empare de ce moment de joie et le transforme en plaisir. Elle lui donne une continuité et cherche à le prolonger. Elle veut le reproduire. Cette maison est si jolie, puis je l’acheter ? Cette activité m’enchante, peut-elle continuer ? Cet arbre est magnifique, puis-je en planter un similaire ? C’est le plaisir qui parle et qui pose sans-cesse les mêmes questions. Comment recréer ce moment ? Puis-je posséder ? Agencer ? Conserver ? Quelle est donc la méthode ?

    Totalité

    La joie ne sélectionne rien, elle existe dans la totalité d’un instant, hors de portée de l’intellect. Le bonheur comme l’amour, est illimité. La cage de notre esprit n’est pas assez grande pour attraper la richesse d’un instant avec des mots, des paroles, des idées.

    Quand nous simplifions et que nous sélectionnons par la pensée, c’est toujours le plaisir que nous trouvons. Nous choisissons un fragment à la recherche de l’ensemble et c’est pour cela que le bonheur reste hors de portée. Nous pouvons réunir les mêmes amis, reproduire le même repas et échouer à retrouver la même alchimie d’un moment de joie. Nous pouvons posséder de nombreuses maisons, immenses et magnifiques – mais nous ne possèderons jamais l’horizon ni la beauté du paysage. Le plaisir est intellectuel, il ne sait que découper. Il ne peut pas comprendre l’illimité. La pensée vole un morceau de plaisir à la totalité d’un instant. Elle déchire le bonheur en morceaux. Et essaie ensuite de le raccommoder.

    Temps

    Le plaisir nous rend aussi esclaves du Temps, car il est une longue quête faite d’attentes, de craintes, de répétitions et de prolongements. Il dure et s’éternise. Sa lourde emprise démarre à sa naissance et durera longtemps après sa satisfaction. À la recherche d’un plaisir, que ce soit un rire, un alcool ou un moment de gloire - nous éprouvons l’ennui, la tristesse et cet affreux sentiment de vide. En observant ceux qui s’amusent, possèdent de somptueuses demeures et jouissent d’un séduisant entourage, nous éprouvons l’envie, la comparaison et la jalousie. Avec la recherche du plaisir démarre l’angoisse de l’incertitude, la peur de l’échec. Le besoin d’être à la hauteur.

    Et même s’il est satisfait, le plaisir portera toujours l’empreinte de la peur. Comment le conserver ? Éviter qu’il se termine ? Cette maison est-elle à l’abri du vol et des flammes ? Il me faut la protéger. Cet objet m’enchante, il me plaît, mais cela va-t-il durer ? Cette répétition mécanique érodera-t-elle mon désir ? Va-t-il s’émousser ?

    Ne confondez pas le plaisir et le bonheur, ils ne partagent rien. Le plaisir s’accompagne de la comparaison, de la jalousie et de la crainte. Vous viendrait-il à l’idée d’être jaloux lors d’un moment de joie ? Pouvez-vous avoir peur du bonheur ?

    La joie devient possible quand le plaisir cesse de l’interrompre et de la découper. Le monde est bien trop vaste pour en réunir tous les morceaux. Nos possessions, nos pièces et nos fragments mettent un terme au bonheur si complet de l’instant. Il existe une joie sans limite – et sans choix – qui demande une liberté totale. Pour atteindre ce qui est à portée de la main, il nous faut comprendre le plaisir, et cesser de le chercher.

    Notes

    [1] : Note


    Merci à Fabrice Jimenez, Gaëlle Albertus, Liliane Bonnet et Coralie Marcadier pour avoir relu cet essai.

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