Aout 2020
Le plus étrange quand on veut changer les choses, c’est la résistance que l’on rencontre. Les difficultés se multiplient. La moindre réforme est hasardeuse, pénible. C’est un peu comme si l’on essayait de détourner une rivière. Existe-t-il un chemin plus facile ?
Bien orientée, une idée séduisante et concrète peut motiver du monde. Mais le changement ne vient pas des mots – il vient des actes. Ce sont nos comportements de tous les jours qui font la réalité. Ce ne sont pas nos idées mais nos actions qui sont concrètes. Elles produisent leurs effets, construisent nos résultats. Changer est surtout une question de comportements. Car l’idéal a une faible valeur quand il ne change rien aux faits.
Il faut bien le constater, nous sommes remplis d’habitudes. Nos actes nous collent à la peau et il est dur d’en changer. Les gestes que l’on répète ont une inertie énorme. Nous essayons parfois de les modifier mais ils reviennent vite à l’état de départ. Pour des raisons de santé nous essayons de nouveaux sports, de nouveaux régimes, de cesser de fumer. Pour vaincre la solitude nous décidons de renouer avec les vieux amis, d’inviter la famille et d’éteindre la télé. Nous voulons agir sur nos manières, nos colères, nos gourmandises. Est-ce un succès ?
Ce sont les résultats que nous cherchons, mais nos comportements font barrage. Qu’il est dur de changer nos actes, nos usages et nos coutumes. Pourquoi nos essais sont-ils des coups d’épée dans l’eau ? C’est vrai pour l’Homme, mais aussi pour le groupe et pour la société. Réformer une loi ? Modifier un décret ? Nos habitudes ont une telle inertie ! Parfois, nous refusons même d’essayer.
Avec du recul, on observe de plus grands phénomènes. Des tendances similaires qui semblent connectées. A une époque donnée existent des habitudes communes. En un lieu donné on trouve les mêmes coutumes. Avec des moyens particuliers on trouve des comportements similaires. En bref des points communs se dégagent lorsqu’il existe une unité de lieu, de moyens et de temps. D’où viennent donc ces actions communes ?
Ce phénomène a un nom : « le milieu ». C’est l’ensemble de nos conditions de départ, de nos informations et nos options disponibles. Bien réel, il affecte tout le monde et génère des comportements concrets. Les actes et les cultures d’un agriculteur dépendent de son sol, de son accès à l’eau. Le métier d’un enfant dépend de la richesse de ses parents, de la façon dont ils l’ont accompagné. Le milieu c’est cet ensemble de conditions, de règles et des moyens accessibles. Il impacte tout le monde – et peut donc tout changer.
Car c’est là que commencent nos plus sévères erreurs. Nos actes changent les résultats mais c’est le milieu qui leur permet d’exister. Il conditionne nos faits, nos gestes. Il arrive avant nos comportements. Quand nous cherchons à changer - uniquement dans nos têtes - nous avons une vue trop partielle de la chaîne de causalité. Nous changerons quelques jours, parfois des semaines, mais les habitudes reviendront si c’est le milieu qui les crée. C’est une bataille perdue d’avance. Voilà pourquoi nos changements échouent ou demandent tant d’efforts. La volonté ne suffit pas à changer les pratiques d’entreprise, il faut y mettre des moyens, des actes concrets, de nouvelles règles. Un gouvernement peut-il réussir une réforme s’il ne fait que la présenter ? Ne doit-il pas d’abord modifier des conditions, mettre en place des moyens et la rendre possible ? Il nous faut apprendre à dépasser les mots, la volonté et l’idéal.
Le milieu est la clé des changements durables. En modifiant les conditions et les données d’entrée, vous initiez une transformation lente et profonde, que vous ne pourrez pas empêcher. C’est une action « racine » aux effets permanents qui marque la fin des longues explications et des consignes complexes. Fini les mots, les idées, les batailles inefficaces. Fini les piqures de rappel et les surveillances acharnées. Non avec le milieu vous possédez un atout puissant et incontournable que nous devons apprendre à utiliser.
Cette « loi du milieu » a été inventée par la nature, qui l’utilise pour créer mais aussi pour changer. Elle ouvre des perspectives fabuleuses à l’enseignant, à l’éducateur, au meneur d’Homme. Nous pouvons changer les habitudes, les comportements, les identités. Cela demande un peu de hauteur de vue et de globalité. Mais c’est aussi la fin de l’effort inutile. Une nouvelle façon de voir que je trouve prometteuse. Et sensée.
[1] : Note
Merci à Fabrice Jimenez, Gaëlle Albertus, Liliane Bonnet et Coralie Marcadier pour avoir relu cet essai.